· 

L'événement

 

 

C’est Pascaline qui avait eu l’idée. On était mi-septembre, la météo annonçait un week-end chaud et ensoleillé, c’était le moment où jamais ! Vincenzo, son mari, serait bien entendu de la fête, mais elle n’était pas sûre que tous les autres puissent participer. Elle avait posté l’invitation lundi soir, elle attendait les réponses pour jeudi, au plus tard… C’était lancé un peu à l’arrache !

 

Hélène s’était manifestée la première. Bien sûr ! Pour samedi c’était d’accord ! Elle n’avait rien de prévu et il allait faire beau ! Que devrait-elle apporter ? Elle pensait à des cakes salés et à des mini pizzas, pour l’apéritif. Elle pourrait aussi préparer une quiche, une flammekueche, une tarte aux poireaux, une autre aux brocolis… Pascaline lui avait répondu que, pour le partage des tâches, il lui faudrait d’abord savoir combien ils seraient en tout.

 

Thomas avait dit OK. Je viendrai peut-être avec un copain, en moto. J’apporterai le fromage, cela va de soi, un méga plateau, il y en aura pour tous les goûts. Je sais qu’il y a des amateurs ! N’oubliez pas le pain, la salade verte et le pinard ! Eh, Pascaline, tu te chargeras de nous trouver quelques bonnes vieilles bouteilles de derrière les fagots ?

 

Sophie et Georges se portaient volontaires pour confectionner plusieurs salades composées à leur façon. Ils attendaient de savoir combien de convives ils seraient au final pour se lancer dans les préparatifs ! Dam se ralliait aux autres, il serait accompagné par Lili, sa nouvelle amie. Ils se proposaient d’apporter un assortiment de pains et de viennoiseries confectionnés dans le meilleur fournil de Paris.

 

Meriem et Victor demandaient s’ils pouvaient emmener leur chien Roy, croisement hasardeux entre un basset et un bouledogue, si personne ne faisait d’allergie à ce genre d’animal. Il était très gentil, affectueux, il resterait tranquille près de ses maîtres, ils lui donneraient un « nonosse » à ronger… Ils comptaient sur Pascaline et son sens inné de l’organisation pour leur préciser ce qu’ils devaient apporter, et en quelle quantité.

 

Maguy et Juan, actuellement dans la Loire en camping-car pour visiter villes et châteaux, trouvaient que ça leur ferait beaucoup de route à faire d’ici samedi, ils hésitaient. Était-ce bien raisonnable ? Après tout, on n’a qu’une vie… Allez, on vient ! Ce sera une belle occasion pour nous revoir, tous et toutes ! Non, le molosse ne nous incommodera pas. Oui, on compte sur Vincenzo pour nous faire goûter l’herbe de ses plantations !

 

Iso et Matt avaient attendu la dernière limite pour se joindre aux autres. Ils remettaient en état une Aronde année 1954 et avaient pu finalement déplacer le rendez-vous, prévu de longue date, chez un ferrailleur spécialisé en pièces de voitures de collection. Ils seraient donc de la partie. Ils viendraient dans leur « deudeuche » jaune citron décapotable, ça promettait d’être fun !

 

Jeudi soir, après le dîner en compagnie de leurs deux grands ados qui avaient regagné leur chambre pour étudier, Pascaline et Vincenzo s’installèrent dans leur salon, smartphone en main, télé allumée, éclairage baissé, en mode détente. Ils récapitulèrent. Eux deux, Hélène, Thomas, Sophie et Georges, Meriem, Victor et leur pur-sang canin, Maguy et Juan, Iso et Matt… C’est cela même, ils seraient douze à participer à l’événement.

 

Ils pourraient commencer à s’organiser. Pascaline veillerait au grain, elle allait dès à présent dispatcher ses listes. Comme dans la chanson de Nino Ferrer, il ne faudrait rien oublier : ni tire-bouchon, ni sacs poubelle, ni feuilles à rouler, ni cornichons… Une chouette journée s’annonçait ! Elle se chargerait personnellement de préparer de la monnaie pour les péages et le parking du château où ils avaient tous rendez-vous, Vincenzo n’y pensait jamais.

 

Ce serait sans compter une météo fantasque et capricieuse, bien loin du temps radieux annoncé partout. Quelques orages facétieux viendraient taquiner les invités et leur tablée champêtre, ils n’auraient rien prévu pour s’abriter. Pascaline s’était fiée aveuglément aux prévisions optimistes et avait omis, dans ses listes, l’éventualité d’un plan B avec barnum, parapluies et toiles de tente. Rien ne laissait présager, vraiment, un pareil désastre. Quelle débandade !

 

C’est pendant leur repli vers les écuries du château que le gentil toutou Roy en avait profité pour mordre avec entrain le mollet de Georges, qui était venu en short et en polo. Heureusement, Meriem avait apporté une boîte à pharmacie pour les premiers secours, comme Pascaline le lui avait demandé. On n’eut plus très faim, d’un coup. De toute façon, une partie des mets qu’ils avaient préparés était mouillée, ils n’avaient pas pu tout protéger.

 

Georges fut soigné, pansé, chouchouté, installé confortablement dans un large fauteuil pliant, avec un plaid sur les épaules. Le vilain croqueur de mollet fut consigné dans la voiture, c’était tout ce qu’il méritait. Même s’il ne l’a pas fait exprès, soutinrent Meriem et Victor. Il a dû nous prendre pour des moutons, ses instincts de gardien de troupeau sont revenus à la surface lorsqu’il nous a vus tous courir… On est vraiment désolés, Georges.

 

Il restait finalement plein d’excellentes choses à manger. Pascaline déboucha un Coteaux-champenois des familles puis un deuxième, Vincenzo fit passer quelques joints de ganja de sa production, Juan réinstalla la sono et mit de la musique cubaine. Pour faire revenir le beau temps, avait-il lancé gaiement. À cette journée soi-disant sans nuages ! Hip hip hip… Hourra !

 

On retrouva l’appétit, on se remit à bavarder, à s’amuser, à se trouver contents d’être là, tous ensemble. Enfin presque. Car pour finir, l’ami de Thomas était venu. Il s’était montré d’emblée très prétentieux et fort désagréable. Ses réflexions déplacées avaient failli ternir l’ambiance insouciante et décontractée régnant au moment de l’apéritif, lorsque le soleil brillait encore.

 

Les douze autres, d’un accord tacite, avaient pris rapidement le parti de l’ignorer. On n’allait pas se laisser emmerder par un sale type comme lui ! Franchement, Thomas, tu pourrais mieux choisir tes relations ! Oui, ils se souviendraient longtemps de leur repas au château. Un peu trop arrosé, tout de même, selon les dires d’Hélène !

 

Ce fut le dernier qu’ils partagèrent ensemble.

 

 

 

Texte écrit dans le cadre de l'atelier "L'Écritoire" de Meaux, septembre 2017.

Écrire commentaire

Commentaires: 0